« L’HOMME HORS DE LUI »- TEXTE ET MISE EN SCENE: VALÈRE NOVARINA-AVEC DOMINIQUE PINON- THEATRE DE LA COLLINE

UN ÉBLOUISSANT FEU D’ARTIFICES DE MOTS

 

Aux sons déchirants, nostalgiques ou joyeux d’un accordéon, c’est l’histoire d’un homme qui, déçu par l’appauvrissement du langage, devenu un simple et aride outil de communication, choisit de se révolter en le faisant revivre. Ses paroles, folles, inventives, colorées, vont fuser sur quatre actes en un époustouflant feu d’artifices verbal! Dans ce spectacle découpé en quatre actes, l’homme qui est entré en scène comme un Vivant malgré lui (acte 1), et en sortira comme un Chanteur en perdition (acte 4), s’étant, entre-temps, transformé en Bonhomme de terre (acte 2), puis en Déséquilibriste (acte 3), va renverser les mots, les triturer, les tordre, les déconstruire, les enchainer, les poétiser, les chanter, les faire flamboyer, flamber… avec une prodigieuse liberté et une jubilation… contagieuse.

Ce qui éblouit d’abord, c’est la créativité langagière du texte. C’est fou le nombre de mots  qu’avec seulement 26 lettres, son auteur,  Valère Novarina parvient à (ré)inventer. Car c’est à jets continus que le poète-dramaturge imagine de nouveaux substantifs, adjectifs, verbes et adverbes.  Les hommes, les femmes, les villes, les pays, les fleurs, les animaux, les objets et même, les sentiments, tout, absolument tout, l’inspire. Cela « dé-corsète » notre bon vieux « françois », le pare de sonorités incroyables, de consonances inouïes, d’assonances inédites, lui donne les allures d’une langue comme resurgie de la nuit des temps.

Parfois, la musique entre en jeu, et alors, la chanson s’invite, joyeusement, drolatiquement. Elle rythme le spectacle. Les mots dansent et les images que ces derniers suscitent aussi.Des toiles abstraites, de couleurs vives, conçues aussi par Novarina participent à la fête. Peintes sur de grands panneaux mobiles, on les   balade au gré des tableaux. C’est très ludique.

Evidemment, pour dire ce monologue aussi insensé qu’ébouriffant, il faut un acteur qui le porte avec perspicacité, humour, sérieux, autorité et bien sûr, dérision. Tout en grâce, intelligence et poésie, Dominique Pinon est cet acteur là. A la fois terrien et aérien, on dirait un lutin malicieux. Il nous fait sourire, éclater de rire, nous emmène dans les étoiles et par moments aussi, s’amuse à nous faire peur. Il est extraordinaire. Il faut dire qu’il connaît bien la langue novarinienne. C’est la troisième fois qu’il la pratique en scène.

Quelle belle idée de Wadji Mouawad d’avoir ouvert la saison de son théâtre de la Colline avec un texte du plus grand dynamiteur actuel de la langue française. Il redonne ainsi la parole au verbe.Aller entendre cet Homme hors de lui, ressemble à une parenthèse enchantée, qui aurait des allures d’un voyage dans un jardin fabuleux, où les fleurs seraient remplacées par des mots, des mots enchanteurs ou vénéneux, c’est selon, mais dans tous les cas, singuliers et porteurs d’imaginaire. A condition d’accepter de lâcher prise, de se moquer du sens, de se laisser envouté par le tintinnabulement de sonorités incongrues, c’est un voyage grisant. D’autant plus que, sur ces terres inconnues et difficilement déchiffrables, c’est un très grand interprète, Dominique Pinon, qui nous guide et débroussaille le terrain.

D’aucuns pourront quand même être déconcertés par la densité et l’inventivité  fulgurante du texte, trouver vaine cette langue qui, parfois, magnifie plus ses sonorités qu’elle ne véhicule de sens.C ‘est vrai qu’on peut ne pas y entrer. (Jusqu’au 15 octobre).

DOMINIQUE PONCET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« UN BEAU SOLEIL INTÉRIEUR » DE CLAIRE DENIS-AVEC JULIETTE BINOCHE,GÉRARD DEPARDIEU, XAVIER BEAUVOIS,PHILIPPE KATERINE, ETC..

 JULIETTE BINOCHE, COMME UNE ÉTOILE…

 

Artiste peintre, divorcée, un enfant, Isabelle (Juliette Binoche),  au seuil d’une cinquantaine épanouie, sent la vie lui couler entre les doigts. Elle n’a qu’une obsession : trouver l’amour, l’amour absolu, celui qu’on écrit avec un A majuscule. Bien qu’un peu paumée et dépressive, elle n’hésite donc pas à aller se heurter aux hommes qu’elle rencontre, avec une sorte de  frénésie et de témérité à la fois naïve et désespérée. Las! les représentants de la gent masculine auxquels elle se donne, forcément tous  humains et donc tous imparfaits et faillibles, la laissent à chaque fois plus meurtrie et plus découragée…

Initialement ce film, signé Claire Denis pour la réalisation, devait être une adaptation des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Face au refus des ayants droits, la cinéaste, qui entretemps a rencontré Christine Angot, décide de s’associer à la romancière pour écrire un scénario qui s’inspirerait de leurs propres échecs amoureux. Au final, Un beau soleil intérieur relate l’histoire d’une femme papillon qui vient se brûler les ailes au feu de ses rencontres et désirs successifs. En son centre , donc, une héroïne, solaire, craquante, dans la plénitude de sa beauté, et autour, des hommes satellites, très différents, avec lesquels elle va enchainer des expériences amoureuses. Il y aura, entre autres un banquier goujat, un dragueur maladroit, un voisin très « perché », un acteur submergé par le doute, un galeriste méprisant, etc… Selon leur personnalité, le regard de Claire Denis sur eux se fera tour à tour tendre, narquois, amusé, interrogateur…

Parce que Christine Angot  manie  dans ses livres, la redite, la redondance, la platitude, et parfois même, la provocation inutile, on craignait un peu le pire avec  cette écrivaine aux manettes des répliques. Surprise: la plupart du temps ici, on  savoure ses dialogues, cela, parce que si la romancière portraiture des hommes d’aujourd’hui dans leur triste banalité et leurs vilains petits et gros défauts, elle le fait avec une vacherie incisive, mais pour une fois, sans esprit revanchard. Dans le ton, ça change tout. A entendre, c’est même assez jubilatoire.

A l’écran, Juliette Binoche a rarement été aussi belle, aussi lumineuse, aussi attirante, aussi désarmante et aussi craquante. Et quelle palette de jeu ! La gaité de Juliette, le désespoir de Juliette, ses engouements, ses pulsions, ses dégoûts, ses colères, ses rejets, ses révoltes et ses dépressions… Et tous ces sentiments et émotions, ensemble ou séparément, qui s’expriment à fleur de peau! La comédienne est somptueuse à regarder, à écouter, magnifiée encore par la caméra admirative de Claire Denis.

De Xavier Beauvois à Laurent Grevill, en passant par Philippe Katerine, Bruno Podalydes et Nicolas Duvauchelle, tous les comédiens du film sont sensationnels. Et puis , en plus, comme un cadeau,Gérard Depardieu dans le rôle d’un radiesthésiste qu’en fin de film, l’héroïne, au bout de sa désespérance, vient consulter. Dans la partition  que lui a écrite Angot, et qui est celle d’un homme chargé de rassurer sa cliente sur son devenir amoureux, le comédien est prodigieux. Phrasé parfait, infinie douceur de ton, présence réconfortante plutôt qu’imposante… Depardieu est ailleurs… Depardieu est au dessus… Sa prestation est d’anthologie.

On entend déjà les soupirs et énervements de ceux que le style Christine Angot irrite et insupporte. Il faut pourtant  essayer de passer outre ce rejet et aller  découvrir ce « Si beau soleil intérieur ». D’abord parce qu’inspirée du vécu de sa réalisatrice et de sa dialoguiste, cette comédie sentimentale parle bien de la désillusion amoureuse, sans chichi philosophique, au ras de la vie quotidienne, et dans une construction assez inhabituelle au cinéma (un héros central confronté successivement à des personnages subalternes). Ensuite parce qu’elle offre à Juliette Binoche un des meilleurs rôles de sa resplendissante maturité. Enfin, parce qu’en épilogue de cette    automnale variation sur la recherche du bonheur, il y a Gérard Depardieu, d’une puissance émotionnelle ahurissante. Ce comédien hors gabarit apporte ici la confirmation indéniable qu’il est le plus grand acteur français de sa génération. (sortie le 27 septembre).

DOMINIQUE PONCET

 

 

 

 

 

« LE PETIT SPIROU » DE NICOLAS BARY-AVEC SACHA PINAULT, PIERRE RICHARD, FRANÇOIS DAMIENS, NATACHA RÉGNIER…

LE PETIT SPIROU…DE LA BD AU CINÉ

 

 

Parce qu’il exerce un drôle de métier, qu’il est aussi taquin qu’intrépide, malicieux et surtout coquin, Spirou est l’un des plus irrésistibles petits héros de BD. Les enfants l’adorent, pour sa frimousse impayable, sa mèche rebelle, son look d’un autre âge et son goût immodéré des bêtises. Les adultes, eux, en raffolent parce que, côté blagues olé-olé, il n’en rate jamais une. Cet engouement n’a jamais faibli depuis 1938, année où ce drôle de zèbre est apparu  sous les crayons du dessinateur belge Robert Velter (dit Rob-Vel), pour devenir le personnage fétiche du journal  dont il allait porter le nom. Depuis Spirou a connu  d’autres papas (dont Franquin) qui lui ont permis à la fois de conserver sa jeunesse (c’est l’avantage d’être un héros de papier!) et en même temps d’évoluer avec les années. Parmi ces papas, Tome et Janry, un impayable duo belge, qui, entre 1987 et 1998, durant quatorze albums, en ont fait un sacré  fripon.

Un jour, un cinéaste passionné par l’enfance, et qui avait déjà réalisé deux films sur cette thématique (Les Enfants de Timpelbach et Au bonheur des ogres) a eu envie de sortir  de ses planches de papier ce Spirou là, qui l’avait fait rêver il y a plus de vingt ans, pour l’emmener vagabonder sur les grands écrans des ciné. Pour cette occasion, ce cinéaste, qui s’appelle  Nicolas Bary, lui a inventé une aventure inédite, destinée, celle-là aussi, à faire craquer petits et grands.

Le pitch est épatant. Un jour, Spirou apprend par sa maman qu’il va devoir quitter son école et ses copains, pour intégrer un établissement spécialisé où il va apprendre à être groom. C’est une catastrophe pour le petit garçon qui n’a pas du tout la vocation. Non seulement il déteste les ascenseurs et ne veut pas quitter ses potes, mais surtout il est amoureux de la belle Suzette, qu’il rêve de séduire en l’emmenant dans un voyage extraordinaire. Après bien des péripéties, il parviendra bien sûr à ses fins. Il réussira à embarquer sa dulcinée pour un tour du monde aussi onirique qu’enchanteur, dans un drôle de carrosse bricolé avec ses copains,

Dire tout de suite qu’il est impossible de ne pas succomber au charme de celui qui, pour la première fois, incarne Spirou à l’écran. Du petit héros de papier, Sacha Pinault (onze ans au moment du tournage ) a tout : la rousseur des cheveux et du teint (pas naturelle, mais on le croit !), l’espièglerie, le charisme et l’insolence du regard. Le jeune acteur, dont c’est pourtant la première prestation au ciné, pimente et irradie le film, qui bénéficie, en outre, de la tendre et fantasque présence de Pierre Richard, de celle, haute en couleurs de François Damiens, ou encore de celle de l’affriolante Gwendolyn Gourvenec.

Côté scénario, ce Petit Spirou n’est pas mal non plus, qui sous ses allures de film potache et buissonnier offre une belle leçon d’éducation aux parents, puisqu’il leur démontre, avec un humour désarmant, que le bonheur de leurs chérubins ne se trouve pas forcément là où ils voudraient qu’il soit.

On se doute que ce film, qui montre un Spirou moins déluré que dans les BD de Tome et Janry décevra certains fans. Mais après tout, sauf à de très rares exceptions, on sait qu’il est impossible de plaire à tout le monde. Et puis on objectera que l’objectif de Nicolas Bary n’était pas de faire un copié collé du petit héros de BD, mais de faire une comédie familiale dont ce petit héros serait le centre et qui pourrait être accessible à toutes les oreilles, mêmes les plus chastes ! En cela, le cinéaste a réussi son pari. Bourré d’insolence, à la fois onirique, tendre et potache, Son Petit Spirou se regarde comme une ode joyeuse à l’imaginaire enfantin. (sortie le 27 septembre).

 

DOMINIQUE PONCET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« JEAN MOULIN, Evangile »- de JEAN-MARIE BESSET- MISE EN SCÈNE REGIS DE MARTRIN-DONOS- THEÂTRE 14

  DU THÉÂTRE AMBITIEUX, PASSIONNANT, NECESSAIRE

 

Vous cherchez une pièce de rentrée à la fois intelligente et tous publics ? » Jean Moulin, Evangile »  est pour vous…

Signée Jean-Marie Besset (l’un de nos plus fins et ambitieux dramaturges), cette pièce propose, comme son titre l’indique, le portrait d’une figure emblématique de la Résistance.

Tout commence en juin 1940, à Chartres, où des agents de la Gestapo font subir une séance de tortures au préfet de la région pour qu’il signe un document attestant d’atrocités qui auraient été commises sur des civils par des tirailleurs sénégalais. Malgré la douleur et l’effroi, ce haut fonctionnaire, qui n’est autre que Jean Moulin, refuse d’obtempérer et tente de se suicider. Ayant survécu, il va intuitivement comprendre que les solutions pour libérer la France ne pourront venir que de Londres, où se trouve le général de Gaulle. Débute alors une pièce passionnante, intense, qui va se dérouler en quatre actes et retracer le parcours du héros le plus connu de la Résistance française, très exactement entre le 17 juin 40 (date de sa première arrestation) et le 10 juillet 43, jour de sa mort à Metz due à des tortures qui ne lui auront  pourtant arraché aucun aveu.

Au cours des 145 minutes haletantes que va durer le spectacle (il n’y aura aucun temps mort), vont se succéder sur le plateau, aux côtés du héros central – ou, selon les cas, face à lui – quinze personnages, dont sa sœur, son amie Antoinette Sachs,  Charles de Gaulle, le résistant Pierre de Bénouville, le traitre René Hardy, le bourreau Klaus Barbie…Tempo d’enfer, précision des mots… Aucun bavardage, aucune complaisance stylistique. Les mots de Jean-Marie Besset sonnent juste, efficace, sans pourtant aucune aridité : malgré la gravité de son sujet, le dramaturge a su ménager des plages pour la détente, car il n’oublie pas que les héros, quelle que soit leur trempe et leur détermination, sont aussi des êtres humains.

Annoncés souvent par des extraits de musique classique (une belle et judicieuse idée), les tableaux s’enchainent, comme dans un feuilleton romanesque. Et chacun, non seulement fait revivre un épisode de la vie de Moulin, mais dévoile les paradoxes de sa personnalité, dont celui  (et non des moindres) qui le fit s’unir, lui homme de gauche , à ce conservateur  qu’était le Général de Gaulle.

Si la pièce est écrite dans un français classique, ample, magnifique, elle n’oublie jamais qu’elle est destinée à l’oralité… Le résultat est que les acteurs y font des merveilles, à commencer par Arnaud Denis qui, fiévreux, habité, inspiré, engagé, incarne un Jean Moulin exceptionnel. Mais, formidables de justesse aussi, tous les autres interprètes seraient à citer.

La scénographie est futée : un décor meublé d’armoires qui symbolisent le secret, l’enfermement, la détention, l’oppression.

Quand une page d’Histoire est restituée comme cela, par le biais du portrait (non linéaire, à la fois « fictionnel » et très documenté) d’un de ceux qui en furent les héros, alors, il ne faut pas la rater… D’autant moins si elle est restituée avec de la poésie, et qu’elle véhicule, mine de rien, des «valeurs» comme le respect, l’humanisme, le courage, le sens de l’honneur et celui de la parole donnée… Des  « valeurs » qui semblent d’un ancien temps, mais qui font quand même aujourd’hui un bien fou…

Comme son affiche l’indique, «Jean Moulin, Evangile» se donne au théâtre 14, l’un des théâtres d’arrondissement les plus dynamiques de Paris.

 

DOMINIQUE PONCET

 

 

« MON GARÇON  » DE CHRISTIAN CARION – AVEC GUILLAUME CANET, MÉLANIE LAURENT, OLIVIER DE BENOIST…

 UN GUILLAUME CANET MIS À NU, POUR UN THRILLER EXPÉRIMENTAL

 

Passionné par son métier qui l’amène à voyager souvent à l’étranger, Julien (Guillaume Canet) a délaissé sa famille. Fatiguée de l’attendre, son épouse (Mélanie Laurent) l’a quitté, emmenant avec elle leur petit garçon. Lors d’un de ses brefs retours en France, Julien trouve sur son répondeur un message où sa femme, en larmes, lui annonce que  leur fils, qui vient d’avoir sept ans, a disparu lors d’un bivouac avec sa classe en montagne et qu’ il a probablement été enlevé. Le père qui sommeillait en Julien se réveille. Hanté par la culpabilité, fou de douleur, il va se précipiter à la recherche de son fils et entamer une traque dangereuse que rien ne pourra arrêter…A ce moment même où ce père décide de mener lui-même l’enquête,  ce « Mon Garçon », qui a démarré comme un drame intimiste et lacrymal entre des parents dévastés,  va se muer en thriller.

 Après trois films historiques, longs tournages, gros décors, kyrielles de costumes d’époque et castings XL, Christian Carion dit avoir eu envie d’un film contemporain, avec « peu d’acteurs, en français, plus resserré, plus simple et avec moins de… panzers ». Il a donc sorti de ses cartons cette histoire (imaginée en 2002) d’un père d’aujourd’hui qui part à la recherche de son enfant disparu. Mais pour la corser, il a décidé non seulement de la tourner presque en temps réel (six jours de tournage), mais de ne pas faire lire le scénario à celui qui incarnerait ce père, en l’occurrence Guillaume Canet, en pariant sur sa capacité à improviser. Le cinéaste a misé juste sur tous les tableaux : Mon Garçon ne «  respire » ni le petit budget, ni la précipitation. Quant à ses dialogues, pourtant le fruit d’improvisations, ils ne donnent jamais l’impression de tourner à vide.

Dans ce drame terrible d’un père face à l’enlèvement de son enfant, déchiré entre douleur et fureur, Guillaume Canet (qui tournait pour la troisième fois avec Carion) est incroyable de vérité et de spontanéité. On salue sa performance, son implication et son sens de la répartie, face à des acteurs qui, eux, avaient un texte écrit. Mélanie Laurent aussi est formidable. Entre abattement, déchirement et révolte, elle fait montre d’une impressionnante palette de jeu. Et tant pis si la fin du film traine un peu la patte et manque de vraisemblance, on est quand même tenu en haleine jusqu’au dernier plan.

Bien que tourné, souvent caméra à l’épaule, dans des conditions périlleuses pour les acteurs ( la méthode adoptée ne permettait évidemment qu’une seule prise), ce Mon Garçon – qui, en raison des conditions inédites de son filmage fut difficile à financer- est un des  thrillers français les plus « maitrisés »  de cette rentrée. (sortie le 20 septembre).

DOMINIQUE PONCET

 

 

« LA VEUVE JOYEUSE » DE FRANZ LEHÃR- MISE EN SCÈNE JORGE LAVELLI- OPERA DE PARIS ( BASTILLE)

 UNE « VEUVE JOYEUSE » SANS ABATTAGE

 

 

Ah là là, quel vaudeville! Dans le palais qui abrite l’ambassade parisienne de la petite principauté de Pontevedro, la fête bat son plein. Mirko Zeta, l’hôte du lieu, et son épouse, la délicieuse et frivole Valencienne, donnent un bal en l’honneur de Hanna Glawari, une séduisante, mais surtout richissime veuve pontévédrine dont la principauté, au bord de la faillite, convoite l’immense fortune. Problème : pour que l’argent ne sorte pas du pays, il faut que la belle Hanna se remarie avec un compatriote. Tous les regards convergent vers le sémillant comte Danilo. Mais, par fierté, celui-ci, qui est  pourtant amoureux fou de la veuve, refuse de se déclarer. Bien que son inclination soit sincère (et réciproque!), il craint qu’on le soupçonne de vénalité. Après différents quiproquos et une multitude d’intrigues parallèles où l’on va entendre des portes claquer, et voir des soupçons naitre, puis s’évaporer, tout finira par s’arranger. Hanna épousera Danilo et son argent restera  au Pontevedro.

Il est quasiment impossible  de ne pas succomber  au charme de cette opérette signée  du hongrois Franz Lehãr. Sa  musique, un des joyaux du genre, a tout pour vous soulever de votre siège, et ses airs, notamment ceux de La chanson de Vilja et d’Heure exquise  vous donnent  l’envie de chanter. Depuis sa création en 1905 à Vienne, cette Veuve, joyeuse, mais aussi sensuelle, raffinée, piquante, sexy et d’une incroyable richesse mélodique, a d’ailleurs  fait battre le cœur de millions de spectateurs à travers le monde. Quand elle arriva à Paris, quatre ans après sa création, elle avait déjà été donnée plus de  20 000 fois. Un record absolu en matière d’opéra ! Encore aujourd’hui, avec Carmen et La Traviata, dans des registres évidemment différents, cette pétulante héroïne lyrique est l’une des  plus prisées du public et… des interprètes. La preuve, Joan Sutherland, Gundula Janowitz, Kiri Te Kanawa, Elisabeth Schwarzkopf, Renée Flemming… les plus grandes sopranos s’y sont bousculées.

On a de la peine à l’écrire parce que, d’habitude, on loue cette chanteuse délicate et minutieuse, mais il faut bien avouer que dans le rôle-titre de cette production, Véronique Gens déçoit. Certes, elle est une Veuve exquise, gracieuse et élégante, mais elle manque de l’abattage, de l’humour, et du sex-appeal un peu tapageur que requiert son personnage. Plus problématique encore, sa voix ne parvient jamais à emplir l’immense salle de la Bastille. C’est d’autant plus dommage que son timbre a de la séduction et qu’elle chante juste, même les airs les plus périlleux.

Dans cette production,la chanteuse  n’est hélas  pas  seule à manquer d’éclat. Mis à part le baryton américain Thomas Hampson (parfait dans le rôle de Danilo), la soprano Valentina Nafortina (pétillante et gracieuse Valencienne) et le jeune ténor Stéphane Costello (très à l’aise dans ses habits de prétendant), la distribution a paru,  dans l’ensemble aussi,  comme « insuffisante »: manque de puissance vocale, absence de précision et difficultés à se caler avec l’orchestre…  Le soir de la première, on avait  la sensation d’être face à des artistes à qui il aurait manqué des répétitions. Impression accentuée par le fait que dans la fosse, le chef Yakub Hrūsa, le plus souvent excellent, dirigeait sur des tempi souvent trop lents. Peut-être pour ménager ses « troupes » mal préparées.

Un peu poussiéreuse, hiératique, trop solennelle, noyée dans un décor trop vide, trop froid, la mise en scène de Jorge Lavelli  n’arrangeait rien.

Heureusement, il est restée la danse, qui, quoiqu’il arrive, est pour beaucoup dans l’engouement des spectateurs pour cette Veuve. Au delà même de son livret et de sa partition. Au cours des deux actes, elle est omniprésente, et  sous de nombreux rythmes. Il y a, bien sûr, la valse «exquise » et « qui grise », mais il y a aussi, des galops, des marches, des polkas, le très folklorique et entrainant kolo et aussi, en apothéose, un cancan à tout casser. Dans cette production, il est interprété par une troupe de danseuses dont l’énergie, le brio et la joie de lever la gambette sous les froufrous de leurs jupons, dynamitent la salle et en mettent plein la vue. Réjouissent l’oeil également, les costumes. Belle Epoque, signés de l’italien Francesco Zito, ils sont splendides, chatoyants, « kitch » pour les grisettes, somptueux pour les solistes et personnages principaux.

Ouvrir la saison de l’Opéra de Paris avec l’un des opéras les plus tourbillonnants du Répertoire était en soi une belle idée. D’ailleurs, au soir de la première, la salle était archicomble. On était d’autant plus impatients que la Veuve, entrée au répertoire de l’Institution en 1997 dans cette même mise en scène de Jorge Lavelli, n’avait plus été jouée depuis 2012. Si on a déchanté, c’est que l’œuvre, donnée auparavant sous les ors de l’Opéra Garnier, a paru comme « noyée » sur l’austère  scène de l’Opéra Bastille. Elle a manqué de ce clinquant, de ce peps, de cette cohésion et de cette folie vaudevillesque qui auraient dû en faire son sel. Elle a surtout manqué d’une héroïne charmeuse, virevoltante, ensorcelante, bref, irrésistible, et donc irréfutable. Heureusement,il y a l’œuvre, dont la séduction, l’entrain et la beauté musicale arrivent à résister à tous les traitements. C’est essentiellement à elle, et donc à Franz Léhãr, ainsi qu’aux chorégraphies de Laurence Fanon que les bravos ( très nourris) sont allés. Cela dit, certaines imperfections de cette production devraient s’atténuer au fil des représentations.

(Opéra Bastille- En alternance jusqu’au 21 octobre).

DOMINIQUE PONCET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« LE REDOUTABLE » de MICHEL HAZANAVICIUS- AVEC LOUIS GARREL, STACY MARTIN, BÉRÉNICE BÉJO, ETC…

SUR FOND DE MAI 68, UN HILARANT  PORTRAIT DE  JEAN-LUC GODARD…

 

Prendre un cinéaste intello mythique et, en le pastichant, le transformer en un personnage de comédie burlesque, sans pour autant le trahir, ni dans ses idées, ni dans ses engagements, ni dans sa sincérité… Il fallait, pour y arriver, un sacré talent et… beaucoup de culot ! Mais rien ne peut paraitre irréalisable  à un réalisateur qui, en ce début d’un XXI ème siècle tape à l’oeil et bavard, a eu le toupet de proposer, puis de réussir un film muet, en noir  et blanc, en l’occurrence « The Artist ». Michel Hazanavicius a gagné son challenge. « Le Redoutable » est un grand film  « populaire », au bon sens du terme. De quoi s’agit-il?

Paris 1967. Jean-Luc Godard, le cinéaste le plus adulé de sa génération, tourne « La Chinoise » avec une jeune actrice de seize ans sa cadette, Anne Wiazemsky. Mis à part leur passion commune pour le cinéma, tout (éducation, âge, idées)  devrait séparer le réalisateur et son interprète. Pourtant, leurs différences les fascinent et ils s’aiment, au point de se marier. Mais voilà qu’ arrive mai 68, et son cortège de contestations et de remises en question. Par peur de rater le train de la modernité, et aussi par souci de se remettre fondamentalement en question pour se réinventer, Godard va épouser cette révolution, au point de délaisser  tout et  tout le monde, ses confrères,  ses amis et, surtout sa jeune femme. Du cinéaste star et vénéré qu’il était, le réalisateur suisse va très rapidement se mettre hors système et se transformer en un  maoïste aigri, odieux et jaloux ce qui aura, entre autres conséquences, de faire capoter son mariage et de le fâcher avec une bonne partie du monde du cinéma…

Il faut saluer d’abord le ton si blagueur et si irrévérencieux de ce « Redoutable », qui est tout sauf un biopic compassé du cinéaste culte de la Nouvelle Vague. Inspiré par deux livres souvenirs signés Anne Wiazemsky, il s’agit ici d’un (anti) portrait libre, joyeux, et même iconoclaste, d’un créateur sur lequel on avait jusqu’à présent peu osé plaisanter. Au vu du « sujet », on ne s’attendait pas à rire. Divine surprise, on se trouve face à une comédie réjouissante, et même par moments, désopilante, parce que son principal « protagoniste », aussi myope que naïf en certains domaines, est souvent, consciemment ou involontairement, d’une irrésistible loufoquerie. Catalogué aujourd’hui « intello-chiant » par ses nombreux contempteurs, on avait fini par oublier, que, jeune, Godard fut aussi brillant que drôle, aussi lunaire qu’intello (ce qui va souvent de pair), au fond un vrai personnage de film burlesque!

Sur le plan de la forme, Michel Hazanavicius s’en donne à cœur joie, en  mélangeant, avec un brio malicieux, les styles et les couleurs. Bien sûr, on est dans un film des sixties, mais y abondent les ruptures de tons, visuelles, comme narratives. On passe notamment de séquences intimes à des scènes, très amples, (dont celles, effervescentes, des manifestations de mai 68). Au final, cela donne un film où on ne s’ennuie pas un quart de seconde.

De Bérénice Béjo à Grégory Gadebois,  la distribution est parfaite. Mais surtout, en haut de l’affiche, il y a la jeune Stacy Martin, qui campe avec une incroyable candeur, une jeune Anne Wiazemsky aux faux airs de Chantal Goya . Et il y a surtout, Louis Garrel. Front dégarni, nez chaussé d’énormes lunettes et cheveu sur la langue, le comédien est un exceptionnel et irrésistible Jean-Luc Godard. Qui ne sera pas allé le voir jouer, ici, cet intello donneur de leçons, brillant mais maladroit et zozotant, se privera d’un grand moment d’art dramatique!

Sélectionné pour la compétition du festival de Cannes, « Le Redoutable » en était reparti bredouille. S‘il y a une justice, cela ne devrait pas nuire à sa carrière en salles. (Sortie le 13 septembre).

DOMINIQUE PONCET.